Les asiles d'aliénés sont des réceptacles de magie noire conscients et prémédités.
Il sera aujourd'hui question de Black Metal. Ouh les affreux. Vous savez, ce
mouvement initié par des Norvégiens tarés oscillant entre Satanisme et
néo-paganisme antisémite. Un des groupes les plus représentatifs, d'aucuns
diraient LE groupe de Black Metal, Mayhem, a vu son chanteur se suicider puis
le bassiste tuer le guitariste à coups de couteau. Mais il y a plus qu'un
intérêt d'entomologiste pour cette population bizarre qui refuse toute
influence du blues (de la musique nègre, pouah, quelle horreur), qui non
seulement fait sincèrement l'apologie de Satan et du Mal en général mais
surtout prétend vivre en conséquence.
Sans un élément de cruauté à la base de tout spectacle, le théâtre n'est pas possible.
Le Live in Leipzig est un chef-d'œuvre du genre. À la limite du supportable,
je l'écoute pour plonger dans un abîme de haine et d'angoisse que les
productions ultérieures du Mayhem nouvelle version n'ont même pas effleurées.
Il y a aussi la légende, les églises brûlées, les meurtres divers... tout cela
est raconté avec force détails sordides dans
Lords of Chaos
de Peter Moynihan et Didrik Søderlind.
Depuis, le Black Metal a évolué, éclatant en sous-chapelles et
sous-sous-chapelles. On peut répertorier le NSBM (national-socialiste), le DSBM
(dépressif-suicidaire), des évolutions shoegaze, jusqu'au drone metal de
Sunn O))) souvent instrumental et sans batterie.
Au détour d'un thread sur la langue des paroles de chansons sur l'un des forums
que je fréquente, il a été brièvement question de la scène Black Metal
francophone ; et notamment de Peste Noire, que je ne connaissais pas. Clairement, ces gens emploient le
français pour des raisons idéologiques, dans la lignée de leur
ultranationalisme. Certaines paroles, certaines références ne laissent aucun
doute à ce sujet, même si on sent un éloignement progressif depuis la première
démo de Kommando Peste Noire, leur premier nom, « Aryan Supremacy », jusqu'au
refus actuel du racisme et du nazisme au profit d'un racialisme assez flou :
acceptation du métissage historique en Europe, bassiste nommé Indria loin d'un
type ethnique viking... Leur troisième album s'appelle « Ballade cuntre lo Anemi
francor », titre d'un poème de Villon. Là, on est en terrain connu, celui d'une
idéologie de droite intégrant quelques obsessions, celle du terroir (qu'il faut
protéger), celle de l'ennemi (qu'il faut combattre) et celle des temps passés, d'un
âge d'or mythique. Bah. Ça donnerait presque envie de chanter en anglais.
Incidemment, le Metal dans son ensemble n'est pas un genre progressiste. Quel
groupe a pris position à gauche ? Black Sabbath à ses débuts avec War Pigs ?
Lemmy Kilmister revendique son antiracisme et son féminisme mais il se situe en
marge, qualifiant alternativement la musique de Motõrhead
de speed metal et de
rock'n'roll. Le BM, lui, s'est toujours situé politiquement - quand il en a
pris la peine - à l'extrême-droite où l'étendue du spectre des valeurs morales
permet la cohabitation des tendances les plus contradictoires, du nationalisme
à l'individualisme forcené, de l'intégrisme catholique au néo-paganisme. Le
satanisme du BM et sa fascination pour le mal y trouvent sans problème leur place.
Nul n'a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé, que pour sortir en fait de l'enfer.
Parlons donc de Peste Noire, dont le quatrième album, « L'Ordure à l'état Pur »,
vient de sortir et dont je n'ai entendu que des bribes. Ou plutôt de son leader
La sale Famine de Valfunde, lequel compose quasiment tous les morceaux, joue de
tous les instruments sur les disques hormis la batterie et chante ou plutôt
râle comme tout blaquemétalleux qui se respecte. Peste Noire tient une place à
part dans cette scène BM au moins par la forme ; quant au fond, on verra ce
qu'il en est.
Contrairement à Mütiilation, à leurs confrères des Légions Noires ou aux BMeux
québecois, les chansons sont travaillées autant au niveau des compositions que
des arrangements. Le son, surtout, n'a rien à voir avec le tsunami d'amplis
hi-gain habituel. Alors que la stratégie classique consiste à étouffer
délibérément l'auditeur, KPN fait dans le varié, le travaillé, allant jusqu'à
enregistrer sur des magnétophones à bande pour le grain qu'ils donnent. Les
entrelacs de guitares refusent toujours la moindre référence au blues ou au
rock'n'roll mais ne se limitent pas à des riffs de mandoline sursaturés. En
fait, Famine sait vraiment jouer et, plus fort, créer son propre idiome à
partir de plans de musique classique, médiévale et folk, ce qui rend son jeu
unique et immédiatement reconnaissable. Ne fuyez pas ! Il n'y a pas de rock
progressif là-dedans, pas de posture intello ou arty, que des influences
parfaitement digérées et intégrées pour restituer un résultat cohérent.
Tout vrai langage est incompréhensible.
Ce qu'il y a de bien avec le black metal, comme d'ailleurs avec le grind, le
death, le doom et autres variations éructatoires, c'est qu'on ne comprend pas
les paroles. Peste Noire ne saurait déroger à la règle et c'est parfois heureux
quand le discours politique prend le pas, parfois dommage quand il met en
musique Baudelaire, Verlaine (Soleils Couchants,
chef-d'œuvre !) et les poètes
du Moyen Âge. En revanche, il évite la dramatisation du texte, sa mise en
valeur outrancière par rapport à la musique, ce mal français ; La sale Famine
de Valfunde est avant tout un musicien.
Je vois encore quelques raisons à ce chant en forme de râle d'agonie. D'abord,
Famine ne se prend pas vraiment au sérieux, instaure une distance avec la
gravité des textes littéraires mais aussi avec les déclamations politiques. Il
y a de l'humour là-dedans, comme les pochettes le montrent bien, un
humour « spécialisé », provocateur, sarcastique, sardonique.
La distance est aussi perceptible dans ses très rares interviews quand il
explique détourner des chants à la gloire du Roi de France pour en faire des
odes à Satan, roi du Mal, lequel serait plus un concept qu'une vraie divinité.
Comment cela s'accorde-t-il avec son nationalisme et son passéisme affichés,
alors ? Et comment imaginer une seule seconde que ce discours puisse servir de
propagande d'extrême-droite ? La réponse, outre les interviews où on a du mal à
faire la part de la provocation destinée à asseoir sa crédibilité, se
trouverait dans un manifeste de 40 pages, encore non publié apparemment
depuis plusieurs années ; je me retiens de ricaner, ce ne serait pas
charitable. Mais c'est à ce point que j'ai compris que, malgré les extraits de
discours de Le Pen, malgré les citations de Brasillach,
Peste Noire était
inoffensif politiquement à cause de ces incohérences, mais surtout de
l'inhumanité de son discours, de ce manque complet d'empathie que l'on constate
aussi chez les psychopathes avérés et qui ne peut servir que de repoussoir.
On peut se demander pourquoi se fatiguer à faire la part des choses alors que
ce type est si manifestement odieux et fier de l'être. C'est que l'esthétique
et la morale ne font pas bon ménage depuis, au moins, Les Fleurs du mal. C'est
que Peste Noire est unique, et pas que par rapport à ses petits camarades du
BM. La plupart des groupes qui lui sont souvent associés, Alcest, Les Discrets,
tout ce mouvement pop-shoegaze planant dont Neige est le porte-drapeau (le même
Neige embauché à la batterie par Famine pour « EXÉCUTER du Black Metal ») ne me
passionne pas vraiment parce que je n'ai pas envie d'écouter du Emperor en plus
mignon. Peste Noire est unique dans le paysage français en réussissant le tour
de force d'intégrer comme personne un tas de références disparates, d'explorer
de nouveaux territoires et de piller leurs trésors pour bâtir une construction
baroque, outrancière, forteresse d'un Facteur Cheval paranoïaque.
De plus, l'électrochoc, comme le Bardo, crée des larmes.
Encore autre chose. Une piste de « Folfuck Folie », le deuxième album, est basée
sur une émission radiophonique d'Antonin Artaud où celui-ci s'égosille en
frappant sur des tambours et une cloche. Peut-être cherchait-il alors à
conjurer le Bardo qui l'obsédait depuis ses années d'hôpital psychiatrique, ce
Bardo qui est la mort pour les Tibétains, l'épouvante absolue pour Artaud ? On
peut imaginer, á l'écoute de sa musique, qu'il y a plus en commun entre Famine
et le Momo que la fascination pour l'ordure, on peut penser que Famine cherche
son Pèse-Nerfs...
Ah, quelle envolée lyrique et culturelle ! Splendide ! Sauf que ce que j'ai pu
écouter du dernier opus, là, ce soir, contredit la thèse de l'artiste à moitié
fou et à peine capable de s'exprimer, en envoyant gaiement du bois. Les riffs
sont lourds, tout en efficacité, les compositions abouties. le son ample, la
voix cette fois parfaitement maîtrisée et intégrée à l'ensemble. Peste Noire,
comme d'habitude, ne fait pas ce qu'on en attend. Or, on n'en attend pas
moins, justement, et hop, dernière pirouette pour ACHEVER ce billet.