jzu

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Tag - distribution

Fil des billets - Fil des commentaires

Les tueurs

Quand j'étais jeune et beau, je piratais des vynils. J'étais un tueur.

C'est du moins ce qu'affirmait cette campagne de publicité de l'époque.

Home taping is killing music

Avec mon pote Jipé, on se partageait les achats de disques. À toi le dernier maxi de Cabaret Voltaire, à moi le mini-33t des Flamin' Groovies chez Skydog. Chacun recopiait ensuite avidement les galettes noires de l'autre sur cassette. Cette pratique était assez répandue à l'époque, mais surtout chez les passionnés, et ne choquait que les majors qui n'en retenaient qu'un hypothétique manque à gagner.

Crétins.

Épiciers.

Je n'ose pas imaginer le montant total des sommes englouties chez les disquaires de l'époque. Presque tout mon fric y passait. Il n'empêche : je piratais.

Je tue beaucoup moins les maisons de disques, ces jours-ci, voire quasiment plus. Probablement parce que l'actualité musicale m'enthousiasme moins qu'auparavant (les torts sont partagés entre cette actualité et moi) et, d'ailleurs, j'achète également beaucoup moins de musique.

D'autres s'en chargent à ma place. Je constate que presque chacun est un criminel aujourd'hui, disons presque tous les amateurs de « musiques modernes ». Il y a bien sûr énormément d'abus, de freeloaders, et on y reviendra. Pourtant, nombreux sont ceux qui continuent d'acheter des disques. Comment cela se fait-il, alors que presque tout est disponible gratuitement sur l'Internet ?

Les épiciers de la musique ne peuvent pas le comprendre. Ce n'est pas qu'ils ne le veuillent pas ; ils n'en sont tout simplement pas capables. Le fait que le public puisse payer volontairement se situe au-delà de leur horizon mental. L'analogie avec les musiciens des rues à qui on donne une pièce ne saurait entrer en ligne de compte.

Allez donc expliquer à ces soi-disant industriels que le vrai modèle de leur métier est la mendicité.

Dans ce modèle, donne qui veut. Certains mettent une pièce dans le nourrin ; pas tous, loin de là, mais le système de la manche fonctionne assez bien pour que, dans les années 1990, un bon chanteur des rues que je connaissais ait pu gagner 8000 FF par mois pour 4 heures de travail par jour dans le métro et devant les terrasses des cafés.

Mais nous ne vivons plus au moyen-âge. Toute activité évolue et les biens de consommation ne sont plus fabriqués par des artisans comme auparavant.

Pffff. D'abord, il ne s'agit pas de simples biens de consommation mais aussi de biens culturels. Et d'œuvres immatérielles, les produits finis étant reproductibles ad libitum ; il est assez amusant d'entendre parler de modernité par ceux-là même qui ont totalement raté le virage de l'Internet. À quoi rime-t-il de vouloir « industrialiser » une activité artistique dans un contexte post-industriel ?

Mais encore, l'attitude de fermeté actuelle, accompagnée de moyens techniques appropriés, n'est-elle pas justement un garde-fou permettant la vente légale de musique, ce qui permet de continuer à produire de nouvelles œuvres ?

Rien à voir. Beaucoup de gens achètent de la musique parce qu'ils trouvent naturel de payer pour cela. C'est une question de culture, pas de peur du gendarme. Il faudrait d'abord que les outils de la répression soient efficaces, ce qui n'est pas le cas par ici (et l'infrastructure rêvée par les créateurs d'HADOPI ne fait que révéler leur incompétence). Aux USA, où la RIAA s'est donnée les moyens de sa politique, l'échec est tout aussi patent qu'ailleurs. Le gendarme ne fait pas peur... et les seuls à avoir profité de la prohibition des années 30 aux USA ont été les mafiosi. L'essentiel est que le chiffre d'affaires soit suffisant pour continuer l'activité de production, que suffisamment de gens continuent d'acheter de la musique.

Les protections, les systèmes de DRM, ne fonctionnent pas et la raison en est simple. L'idée consiste à donner au consommateur un produit sous clef qu'il ne pourrait utiliser que dans des conditions définies par le producteur. Il faut malgré tout fournir la clef, qui permet d'accéder au produit en lecture - et, là, c'est fini, plus de protection. Le rêve des producteurs est théoriquement possible : un véritable coffre-fort dont le contenu ne serait accessible qu'en utilisation mais qui serait impossible à lire. Si le concept semble étrange, le standard PKCS#11 des cartes à puce et autres matériels cryptographiques décrit précisément ce principe de fonctionnement. Mais le prix, la durée de vie et la capacité des HSM rendent ce rêve inaccessible pour longtemps. D'ailleurs, il faudrait au préalable en finir avec le trou analogique et c'est encore une autre histoire.

Mais enfin, la banalisation du piratage pose des problèmes moraux indéniables. Comment justifier que l'on puisse jouir d'une œuvre sans rétribuer ni les artistes ni ceux qui permettent la mise à disposition de cette œuvre ?

Cet argument constitue le nœud du problème et, de fait, le piratage est moralement condamnable. Cela ne peut prêter à discussion. Ce comportement doit-il pour autant ressortir du pénal ? Il existe des exemples de telles pratiques réprouvées mais tolérées : l'abstention électorale ou la prostitution, entre autres. Or, le garde-fou dans ces deux cas est justement le sens moral et le législateur n'a jugé ni utile ni nécessaire de pénaliser ces pratiques. Encore une fois, une grande partie du public est prêt à se mettre de lui-même en règle avec sa conscience, aux écarts près.

Maintenant, que faire ? Trois choses.

UN

Il faut d'abord accepter la réalité telle qu'elle est. On ne peut combattre le piratage ni par la loi, ni par la technique. Il fait partie du paysage et il faut vivre avec. Cela n'implique aucune justification morale : encore une fois, d'autres pratiques mal vues par la société sont admises dans la pratique.

Mais il y a mieux. Revenons au début de ce billet, quand j'étais jeune et beau. Et désargenté. Je ne pouvais donc acheter qu'un ou deux albums par mois alors que la production « intéressante » était bien plus abondante. Il fallait aussi compter avec les places de concert et les instruments de musique - car il était alors hors de question de rester de simples consommateurs passifs, il fallait faire partie de la scène sur tous les plans.

Musiciens et pirates, cela peut surprendre. Pourtant, tous les musiciens que je connais - et j'en connais beaucoup - piratent peu ou prou. Et achètent de la musique aussi, car les deux comportements ne sont pas incompatibles mais complémentaires.

Il faut noter l'absence complète de scrupule du pirate quand il achète de la musique par ailleurs. Puisque son budget est limité, il n'aurait de toute manière pas acheté le CD ou le MP3 qu'il a piraté. Cet acte lui permet de découvrir d'autres artistes que ceux qu'il connaît déjà ou qu'il peut se permettre d'essayer au hasard. Le piratage a une réelle utilité en permettant la diffusion d'artistes peu connus alors que les médias grand public, TV, radios et journaux spécialisés, loin de jouer les découvreurs, privilégient les productions les plus vendeuses pour des raisons évidentes. On voit aussi que le piratage ne fait pas seulement partie du paysage mais de tout l'écosystême de la production musicale. Et pas seulement en tant que parasite, mais en tant que constituant actif du système.

Bienvenue dans le monde des Bisounours, pour reprendre une expression à la mode ? Au contraire, bienvenue dans le monde réel. Adieu au commerce de la musique tel qu'il existait avant l'Internet. Adieu au culte du cargo.

DEUX

Ensuite ? Il faut encourager les comportements responsables. Rien ne peut se faire sans la participation active du public. Il y a du boulot, c'est sûr, d'autant plus que le seul résultat tangible des campagnes anti-piratage a été une totale déresponsabilisation de ce public, dont l'état d'esprit oscille entre « pas vu pas pris » et « pas de cadeau à cette bande d'enfoirés ». Et voilà comment la culpabilisation a priori des clients par les maisons de disques offre sur un plateau une justification morale aux freeloaders.

Cette mentalité doit changer et cela n'est possible que si l'attitude des majors change aussi. De toute manière, c'est ça ou elles crèvent. Et dans ce cas, plus de Madonna, plus de J-Lo, plus de boy-bands... Perspective séduisante, si l'on oublie les victimes collatérales : les artistes pas ou peu connus qui ont besoin de soutien financier et logistique, et les petits et moyens labels montés par des passionnés pour des passionnés.

TROIS

Il faut de nouveaux moyens de distribution tirant parti des possibilités d'Internet. Pour de vrai. Pas comme font ces incapables des majors :

  • Incapables de s'adapter aux nouvelles technologies dans un premier temps ;
  • Incapables de proposer de nouveaux modèles ensuite ;
  • Incapables de comprendre leurs propres clients, encore et encore.

Ces trois démonstrations d'incompétence suffisent à elles seules à expliquer le succès d'Apple, ce constructeur de matériel informatique devenu premier distributeur de musique en ligne dans le monde malgré les réticences des distributeurs traditionnels. S'il y a un marché que les structures en place n'arrivent pas à satisfaire, d'autres prennent la relève. Aujourd'hui, c'est l'iTunes Store ; demain, ce sera peut-être au tour du modèle du forfait en ligne ou d'un modèle encore inconnu.

OUI, MAIS

Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? Je ne vois que les narines qui poudroient et les billets qui verdoient.

HADOPI est passée en force, pour un résultat sans aucun doute aussi nul que DADVSI en son temps. Les majors inondent toujours les médias de rapports fondés sur des évaluations non vérifiées, rapports qui se citent les uns les autres pour se donner plus de poids.

UMG, qui a perdu le quart de son chiffre d'affaires entre 2000 et 2007, continue de gagner de l'argent. Pourquoi tout changer, pourquoi prendre des risques alors qu'il est payant de s'arc-bouter sur des positions purement défensives, alors qu'on peut jouer les bons gestionnaires devant le conseil d'administration ? Après Nègre le déluge.

Alors on dégraisse. Il y avait de la marge, à en juger par les notes de taxi chez EMI en 2008, mais aujourd'hui Abbey Road est à vendre.

Parallèlement, on observe de grandes manœuvres du côté des tourneurs. Ce métier, autrefois simple annexe promotionnelle des maisons de disques, devient aujourd'hui l'objet de toutes les attentions. D'une part, les salles de concerts ne désemplissent pas ; d'autre part, cela permettrait aux labels d'extorquer plus d'argent aux artistes, dans le même esprit que les fameux contrats « 360 » où la maison de disques s'arroge des points non seulement sur les enregistrements, mais sur tous les revenus d'un artiste y compris les droits dérivés et les recettes des concerts.

Bref, on n'est pas sortis de l'auberge. La crise continue parce que l'environnement, l'écosystème, de la musique a changé pour toujours et que les décideurs ne veulent pas s'en rendre compte. Ils préfèrent accuser de tous les maux le piratage, comme d'habitude, plutôt que de s'interroger sur un possible modus vivendi avec un phénomène inévitable. Les vrais tueurs ne sont pas ceux que l'on croit et, dans leur course, ils foncent dans le mur en embarquant tout le monde avec eux.

Pour en finir avec le public ennemi (redux)

Dans la série « On ressort les cadavres du placard »...

Forfait-musique-en-ligne_JeanZundel_2008-11-17.pdf
Flatrate-online-music_JeanZundel_2008-11-17.pdf

J'ai écrit ce texte il y a 18 mois pour développer une idée nouvelle de distribution de musique en ligne. On dit communément de son idée qui n'a pas eu de suite qu'elle était trop novatrice. Celle-ci l'était certainement - elle l'est toujours - même si ce n'est pas la seule raison de son manque d'écho (il faut savoir vendre, par exemple). Un temps publié sur immatériel.fr, il a maintenant disparu du serveur. Le revoici pour que les moteurs de recherche le remettent à la disposition du public.

L'idée provenait de l'association de trois concepts-clef :

  • Les gens préfèrent payer au forfait plutôt qu'à la quantité ;
  • La personnalisation du contenu responsabilise le consommateur ;
  • Une répartition financière juste est possible par la centralisation des téléchargements.

Contrairement à ce qui a été dit, il ne s'agit absolument pas d'une promotion de la Licence Globale mais d'un système purement commercial basé sur une participation volontaire des consommateurs.

Ce document est composé de deux parties. D'abord, la présentation du système de distribution envisagé. Ensuite, ce que l'on peut appeler les « pièces justificatives », ou l'histoire terrible de la rencontre ratée de l'industrie (ou de l'activité qui se prétend telle) de la distribution de musique avec l'Internet.

Il faudra que j'explique pourquoi je ne crois pas à la la Licence Globale. Il faudra aussi parler du piratage en tant que composante de l'écosystème. Plus tard.