Le capitalisme fonctionne durablement en tant que système parce que ceux qui jouent le jeu s'y retrouvent statistiquement. Si on investit dans des entreprises, il est assez probable qu'on y gagnera assez en moyenne pour inspirer d'autres investisseurs potentiels : la confiance de ceux-ci provient de la fréquence des succès constatés autour d'eux.

Dans ce système, donc, pas de stagnation possible sous peine de perdre la confiance des investisseurs qui ne rentreraient plus si souvent qu'avant dans leurs fonds. Le moteur du capitalisme est la croissance, qui signifie produire plus (et de façon plus rentable) pour satisfaire une consommation également croissante. Quantitativement, une moyenne de 3% de croissance par an semble représenter chez nous un minimum pour assurer une activité économique considérée comme saine ; c'est du moins ce dont la presse nous rebat les oreilles tous les jours. Ce chiffre peut d'ailleurs varier selon les pays, comme en Chine où 8% sont actuellement vus comme un minimum en dessous duquel une crise sociale pourrait apparaître.

Glissons sur les amusants calculs d'intérêts composés qui, pour 3% de croissance par an, donnent 1921% sur un siècle.

Ce moteur a bien entendu besoin de carburant... au sens propre. Il faut de l'énergie et des matières premières pour fabriquer des produits finis et les distribuer.

Jusqu'ici, rien de remarquable. J'imagine qu'on apprend ces choses en première année d'économie. Mais ajoutons une autre donnée : les ressources naturelles ne sont pas inépuisables. On commence à s'en apercevoir puisqu'aucune découverte majeure en matière de pétrole n'a eu lieu depuis 30 ans alors que la production du gisement de Ghawar, par exemple, plafonne. L'exploitation des sables bitumeux détruit des milliers de kilomètres carrés au Canada, le fracking au Texas pollue irréversiblement les nappes phréatiques et le forage en eau profonde a fait la preuve de sa dangerosité ; l'Océan Arctique et la côte guyanaise n'ont qu'à se bien se tenir.

Le jour où Ghawar ralentira sa production sonnera le glas de la société telle que nous la connaissons. Le moteur n'aura plus assez de carburant. Aucune source d'énergie n'est aussi efficace et pratique que le pétrole. Le nucléaire ? Il dépend de stocks d'uranium qui sont limités, comme les autres minerais, et l'époque où le Niger nous en faisait pratiquement cadeau est terminée ; de toute manière, Fukushima a changé la donne dans l'opinion publique et, au fait, attendons de voir ce qui sort de l'unité 3 de Daiishi avant de parler de la filière MOX. Les éoliennes et les panneaux solaires sont fabriqués à partir de ressources tout aussi limitées.

Cette pénurie annoncée vaut pour toutes les matières premières. Les estimations de réserves de nombreux métaux ne dépassent pas quelque dizaines d'années au rythme de consommation actuel (mais la Chine arrive).

Cher lecteur, l'écran plat sur lequel tu lis ces lignes nécessite de l'indium, et il n'y en aura plus dans 15 ans. Comprenons-nous : il y en aura encore, mais plus du tout au même prix. D'ailleurs, plus rien ne sera au même prix.

Tout ce qui fait fonctionner notre société sera plus cher et du coup tout ce dont nous avons besoin, et le reste, sera plus cher. Nous nous retrouverons donc en situation d'inflation massive, continue et irréversible et il ne sera plus question d'investir puisque l'hyperinflation dévorera tous les gains potentiels.

La seule bonne nouvelle est que la Terre est probablement sauvée à moyen terme car l'énergie dépensée et les polluants dispersés iront en diminuant.


Je ne prétends pas qu'il n'existe aucune issue ; j'aimerais trouver une piste en ce sens. J'aimerais entendre d'autres arguments que « on trouvera toujours une solution » de la part de gens qui gèrent les risques d'une toute autre manière dans leur vie professionnelle. J'aimerais, assez égoïstement, que la fête continue pour moi, mon entourage et mes descendants.

Mais notre société moderne a été enfantée avec une capsule de cyanure dans le ventre. La coque en est presque dissoute.