Je reste comme un imbécile devant une page blanche. Il faut trouver un texte pour une chanson qui promet d'être un tube planétaire, surtout pour la mélodie du refrain qui est clairement faite pour renvoyer Radiohead, Lady Gaga et les Beatles dans les limbes de l'oubli collectif.

La chose est certaine.

Si seulement l'inspiration pouvait arriver là, maintenant ; ou demain matin, pourquoi pas, je ne suis pas difficile. La précédente chanson n'avait pas posé de difficulté particulière mais, là, c'est l'échec. Or, il paraît qu'il existe des techniques pour inciter cette inspiration, qui se révèle rarement fille facile, à nous dispenser ses faveurs. Tout ou presque serait question de méthode, en commençant par le commencement.

Le titre

Tout le monde le dit : il faut d'abord trouver un titre, et qu'il soit accrocheur et original. La lecture des titres de journaux et de magazines sera profitable. Ce titre peut n'être que provisoire et changer par la suite car son rôle est celui d'un déclencheur.

Il serait bon qu'il se retrouve dans le refrain. Un point en plus s'il comporte une association de mots inusitée.

Quelques questions

Qui ? Quoi ? Où ? Quand ? Etc. Cette phase des questions, recommandée par cet article avec beaucoup d'autres conseils repris ici, ne me semble pas très utile. On peut y passer 5 minutes pour y trouver un angle d'attaque auquel on n'avait pas pensé au départ.

Liste d'associations directes

Il faut maintenant constituer une liste des termes directement en rapport avec le(s) mot(s) du titre en prenant une feuille de papier blanc et en écrivant les termes qui viennent à l'esprit les uns à la suite des autres. Une heure ne sera pas de trop.

Liste d'associations indirectes

On prend maintenant chaque item de cette liste, et on applique le même principe en énumérant les mots évoqués par chaque item. C'est la tâche la plus longue, potentiellement la plus riche aussi. Elle mène à un grand n'importe quoi où l'on pourra pêcher des idées, les unes évidentes, les autres à la limite de l'absurde, et pourquoi pas ?

Liste des contraires

Pour chaque mot du titre, on cherche ses antonymes et les idées qui leur sont directement associées, afin de créer des contrastes.

Liste de synonymes

La tâche la plus fastidieuse. On prend un dictionnaire de synonymes en ligne et on entre chaque terme de chaque liste pour multiplier les occasions de placer une idée sous une forme plus adaptée phonétiquement.

Cette collecte d'idées servira à écrire le texte des paroles en servant de son imagination et des quelques règles édictées ci-dessous. Avant de passer à la construction des éléments de la chanson, une note liminaire :

Une chanson n'est pas une poésie

Comme ce fait a l'air ignoré de bien des paroliers actuels, je le répète : une chanson n'est pas une poésie. Oui, en gras, et estimez-vous heureux que le tag <BLINK> soit inaccessible sous Dotclear. Plusieurs caractéristiques les distinguent :

Un texte de chanson existe principalement pour accompagner une mélodie. Sinon, à mon avis, il vaut mieux écrire des poèmes, des romans ou des articles de journaux, ou des billets de blog.

En poésie (classique), la rime est importante. Dans une chanson (typique), ce sont les assonances qui comptent. Par exemple, singe / nage ou moi / noir peuvent très bien passer dans une chanson selon le contexte et le phrasé. Inconvénient, les dictionnaires de rimes ne servent à rien. Même chose en ce qui concerne le nombre de pieds, beaucoup plus variable, mais...

Le rythme est essentiel dans une chanson, et il peut être bien plus varié qu'en poésie classique où règne l'hémistiche. Les vers d'une chanson doivent respecter peu ou prou le même motif rythmique, celui qui est donné par la mélodie.

Les répétitions sont généralement mal vues en poésie. En chanson, pas de problème (demandez à Louise Attaque). Le procédé est particulièrement efficace dans un refrain.

Le refrain

Le refrain est une particularité de la chanson. Il en est le pivot, le centre de gravité,le point nodal, ce que l'auditeur en retiendra à la première écoute. Il doit donc être accrocheur. Par principe, il se répète dans la chanson et, encore une fois, la répétition d'un motif est bienvenue à l'intérieur de ce refrain, contrairement à ce que l'on peut lire ici et là.

Il reprendra le titre, si possible. Si d'ailleurs ce n'est pas le cas, on peut envisager de changer celui-ci.

Les couplets

La construction d'un couplet obéit à des règles beaucoup moins définies que celles du refrain. En gros, on fait ce qu'on veut dans le cadre du rythme de la mélodie et en respectant les assonances.

Le pont

Il s'agit d'une rupture dans la séquence couplet-refrain qui intervient typiquement aux 2/3 du morceau. On en distingue de deux types. Glissons sur le premier, instrumental, car il ne concerne en général que les soi-disant guitar-heroes pour qui l'heure de gloire est arrivée. En revanche, quand il est chanté, le texte doit refléter cette rupture. C'est le moment d'une révélation ou d'une apogée dramatique après laquelle l'orientation de la chanson aura changé.

La structure

Pendant l'écriture de ces divers éléments, la chanson se construit d'elle-même selon ce qu'on y raconte et l'ampleur de la logorrhée à laquelle on aboutit. Un grand nombre de motifs est possible, certains se retrouvant plus fréquemment que d'autres.

Le cas trivial est couplet - refrain - couplet - refrain - etc. que l'on peut noter ABAB. Un autre, classique, ressemble à : couplet - couplet - refrain - couplet - refrain - pont - couplet - refrain, noté AABABCAB.

Mais là aussi, on peut faire ce que l'on veut. Some Candy Talking de The Jesus And Mary Chain commence par un long couplet assez varié, passe à un court refrain qui n'est que le titre répété suivi d'un solo, débouche sur un couplet différent et termine sur le refrain. Et ça fonctionne.

On peut encore compliquer l'affaire avec un troisième thème musical induisant des textes construits sur un rythme différent. Ou une introduction pour le morceau, qui peut être chantée voire parlée, ainsi qu'une introduction au refrain dont on pourra se servir pour aérer un éventuel long ensemble de couplets au début.

Cependant, ces passages sont souvent instrumentaux, justement pour aérer l'ensemble. Cela permet aussi au chanteur de soigner sa pose inspirée / torturée tout en localisant l'endroit exact de la bière qu'il lui faudra aller chercher dans le noir à la fin du morceau sans en renverser sur les wedges de retour.

Go, Johnny, go

Ces travaux préparatoires effectués, il ne reste plus qu'à faire preuve de génie. Pour toi, estimé lecteur, je ne doute pas que ce soit très simple. Pour moi... je reste comme un imbécile devant ma page blanche... car en bonne capricieuse qui n'en fait qu'à sa tête, aucun raisonnement, aucune astuce ne convaincra l'inspiration de venir faire un petit tour, et plus si affinités, si elle n'en a pas envie.