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Le dénommé Kleuck fabrique des pédales d'effet qui, de l'avis général, tuent les ours à mains nues. Si la plus réputée dans le microcosme de certains forums est le Ballast Trouble Booster, un treble booster qui ajoute du grain au son, la Screamin' Red Toad m'intéressait spécialement pour remplacer une MXR Distortion + de 1974, parfaite avec des single coils, trop boueuse avec des humbuckers.

J'ai pris les deux sur la foi de quelques démos sur Youtube. Il a fallu quelques mois pour qu'elles arrivent ; c'est du fait main, avec peu de stock puisque l'activité ne fait que démarrer. La production semble un peu mieux maîtrisée aujourd'hui. Peut-être.

Screamin' Red Toad

Ça sonne. Putain de Dieu, qu'est-ce que ça sonne. Le Screamin' Red Toad fait exactement ce que j'en attendais : graou-graou, mais en respectant la dynamique du jeu. Les variations d'intensité au médiator sont parfaitement restituées, au contraire de pas mal d'autres overdrives. Oui, je parle bien de vous, Ibanez.

Tous les réglages sont utilisables, tous, et le son gagne toujours une qualité tubale qui rend l'effet quasiment indispensable quand on joue à travers un ampli à transistors.

Démonstration chez Kleuck. Et une autre par Mikka Grytviken.


Ballast Trouble Booster

Le Ballast Trouble Booster, lui, remplit un rôle déterminant et largement sous-estimé, celui du préampli qui monte le niveau au moment d'une intervention qui doit trancher dans le mix. Il en existe plusieurs variétés dont les clean boosts, qui ne font en théorie rien d'autre que monter le niveau de quelques dB, et les treble boosters qui ajoutent des aigus. Le BTB appartient à cette famille mais salit le signal pour l'enrichir et il fait très bien son boulot, comme j'ai pu le constater en concert. D'autres treble boosters passent mieux dans des amplis « à l'anglaise » (Marshall, Vox, Orange) que dans des amplis typés Fender dont le clean comporte déjà beaucoup d'aigus ; mais celui-ci fonctionne très bien avec un Hot Rod.

Là aussi, démonstration par l'exemple (et l'exemplaire Doc Loco).


Mais comment ça marche-t-y ? Les circuits restent secrets car, à force de réflexion et d'essais, Kleuck a trouvé quelques astuces inédites en matières de composants, de polarisation et d'architecture. Tout est connu mais le diable est dans les détails, et ces détails se retrouvent dans le spectre du signal traité. Et dans le son, car Kleuck n'est pas qu'un électronicien ; son principal outil de mesure est sa paire d'oreilles et ça s'entend.

Il n'empêche, j'aime essayer de comprendre. Sortons notre casquette de hacker et analysons tout cela. Rassure-toi, cher (et rare) lecteur, on va faire dans le graphique. Le visuel.

Prenons un signal vers les 250 Hz, celui d'une vuvuzela d'une onde sinusoïdale provenant d'un logiciel comme Audacity sur un portable dont la sortie audio est connectée à l'entrée ligne d'un autre PC. Il faut que le niveau de sortie soit compatible avec celui d'un micro de guitare, quelques centaines de millivolts, afin de ne pas fausser les résultats en attaquant l'effet de manière trop différente des conditions nominales. On peut alors le faire passer à travers ces pédales pour étudier l'onde qui en résulte.

Voici ce qui se passe, en gros. L'onde sinusoïdale de départ est traitée d'abord par le SRT, ensuite par le BTB, tous les potentiomètres étant réglés à 12 heures.

Dry - SRT - BTB

Pourquoi les formes d'onde sont-elles si différentes ? C'est que leur contenu harmonique l'est tout autant. Audacity, comme la piupart des logiciels de traitement audio, permet de lancer une transformée de Fourier rapide ou FFT.

Sinusoïde de base Le signal d'origine

SRT - Gain=12, Tone=12 Traité par le SRT, tout à 12h

BTB - Trouble=12, Boost=12 Traité par le BTB, tout à 12h


Screamin' Red Toad

La forme de l'onde - et le spectre - dépend bien sûr des réglages.

SRT Gain Tone Formes d'onde selon les réglages du SRT

On voit ci-dessous l'évolution du contenu harmonique du signal traité selon que le Gain et le Tone sont réglés à 12h ou à 16h.

SRT - Gain=12h, Tone=12h SRT, Gain=12h, Tone=12h

SRT - Gain=12h, Tone=16h SRT, Gain=12h, Tone=16h

SRT - Gain=16h, Tone=12h SRT, Gain=16h, Tone=12h

SRT - Gain=16h, Tone=16h SRT, Gain=16h, Tone=16h

L'intensité respective de chaque harmonique dépend donc avant tout du Gain, le Tone se contentant d'atténuer ou de renforcer uniformément les aigus.


Ballast Trouble Booster

Le Ballast Trouble Booster ne se laisse pas analyser si facilement. En théorie, il sert à monter le niveau et à renforcer les aigus en ajoutant du grain. Dans la pratique, on s'aperçoit qu'il retire des graves et que le contenu harmonique se restreint quand on monte le Trouble, alors qu'il reste constant quelle que soit la position du Boost. Ma version est la « First Run », un des premiers exemplaires fabriqués, avec deux potentiomètres. La version actuelle comporte trois réglages et le dernier permet de doser la coloration.

BTB - Formes d'onde 'Formes d'onde selon les réglages du BTB''

BTB-t10b10.gif BTB, Trouble=10h, Boost=10h

BTB-t12b12.gif BTB, Trouble=12h, Boost=12h

BTB-t12b14.gif BTB, Trouble=12h, Boost=14h

BTB-t14b12.gif BTB, Trouble=14h, Boost=12h

BTB-t14b14.gif BTB, Trouble=14h, Boost=14h

On ne s'en rend pas forcément compte a priori, mais le réglage des potentiomètres à 10 heures n'est pas intéressant quand on joue en groupe. Le son est trop riche, pas assez précis. Mon réglage favori est actuellement vers les 14 heures pour les deux réglages, là où le spectre est le moins fourni, comme s'il s'agissait en fait d'un filtre passe-bande. Une règle fondamentale du mixage veut que pour qu'un instrument perce, pas la peine de le monter ou de le rendre plus massif, il faut retirer des fréquences pour éviter que les instruments ne se marchent sur les pieds.


Et les autres ?

On va maintenant comparer avec d'autres pédales d'effet mais, comme je n'ai pas d'autre overdrive ni de booster, je vais prendre en exemple des distorsions classiques :

Une MXR Distortion + de 1974, Distortion à 12h

MXR Distortion +

Une vieille saleté italienne avec un circuit à la Fuzz Face, tout à fond

Playful Distortion

Une EHX Double Muff (en mode double), les deux potards à 15h

EHX Double Muff

Surprise, la EHX, à la dernière ligne, montre une courbe relativement similaire à la SRT.

Disto+ - Fuzz Face - Double Muff Formes d'onde pour une Distortion +, une Fuzz Face et une Double Muff

Mais ce n'est pas si simple qu'il y paraît et la SRT est en fait assez différente de la Double Muff par son contenu spectral, comme on pouvait s'y attendre à l'écoute (qui est quand même l'outil le plus fiable d'évaluation d'un effet)...

La Distortion + ne présente aucune harmonique seconde et peu d'harmoniques de rang élevé.

Spectre Distortion + MXR Distortion +, Distortion=12h

La pseudo-Fuzz Face fout un bordel insensé dans le spectre avec une harmonique seconde égale en intensité à la fondamentale et le reste à l'avenant, d'où sa courbe assez particulière.

Spectre FF Clone de Fuzz Face, Distortion=max

Pour la bonne bouche, l'analyse de son spectre montre que la Double Muff ne donne aucune harmonique paire mais beaucoup plus d'harmoniques de rang élevé. Ce dernier point explique qu'elle ne soit pas resté très longtemps sur mon pedalboard - assez bonne pédale, cela dit, mais pas ce que je cherchais. La Screamin' Red Toad donne un spectre plus complet et plus resserré.

Spectre Double Muff 15h*2 Electro-Harmonix Double Muff, Muff1=15h, Muff2=15h


Enfin...

N'oublions pas que ces mesures ont été effectuées in vitro et que le contenu harmonique peut changer en fonction du comportement de l'étage d'entrée de l'ampli dans lequel est injecté le signal, pour ne pas parler des caractéristiques propres à l'ampli lui-même et à son baffle. On peut donc faire ce qu'on veut de l'étude qui précède, comme s'en servir de référence pour comprendre un peu ce que font les effets de distorsion, ou pour savoir comment comparer une autre pédale. Ou la mettre au panier en considérant que l'auteur du billet est définitivement irrécupérable.