En allant poser des affiches pour l'album de Youpi Youpi Yeah chez Born Bad, rue Keller, je tombe sur Daniel Darc. Ça fait très longtemps qu'on se voit de loin, qu'on discute au hasard de rencontres espacées de quelques années, qu'on connaît les mêmes personnes. Do, par exemple, dont je lui apprends la disparition.


En décembre 78, Taxi Girl passait en première partie de Père Ubu au Bataclan et ça a été un flash immédiat, un peu comme quand j'ai vu les premiers concerts de Métal Urbain ou d'Extraballe. Cette impression de découvrir un paysage nouveau et pourtant immédiatement accessible, la perception aussi d'une volonté de se démarquer des copieurs anglophones pour faire quelque chose de personnel.

Taxi Girl - Olympia - avril 79 - cc by-nc-sa

Ensuite, ils avaient joué à l'Olympia avec Suicide Romeo et Modern Guy, avec un son différent dans mon souvenir, plus clair, qui allait leur rester, dans des costumes étriqués plus réminiscents de l'Europe Centrale que des USA. Les chansons étaient les mêmes, bien sûr, et le set commençait toujours par une reprise terriblement ralentie des Stooges. Toujours aussi la même présence sur scène, le show se partageant entre un Daniel Darc hanté et un Laurent "Captain V2" Sinclair virtuose. Mirwais Ahmadzaï bazardait ses riffs essentiels sur sa Guild S100 et la rythmique assurait sans faillir derrière. Ce concert-ci était la confirmation que quelque chose était en train de se passer, qu'un groupe vraiment important était né.

Enfin, alors qu'ils étaient désormais considérés comme les étoiles montantes du rock français, un concert de promotion au Palace devait les établir comme un produit bankable aux yeux des maisons de disques, le prochain groupe pop que l'on pourrait faire glisser sans mal vers la variété. Ceux qui s'attendaient à cela faisaient bon marché de la personnalité des gus en question qui avaient invité tous leur potes punks, zonards, autonomes à venir occuper le parterre. Les cinq Taxi Girl déboulèrent sur scène en pantalon rouge et Perfecto pour un concert incendiaire devant un pogo dévastateur.

La suite est connue. Mankin, Cherchez le Garçon, les veines tranchées sur scène, le départ de Stéphane le bassiste, le speedball de trop de Pierre le batteur, la collaboration avec Jean-Jacques Burnel pour l'album Seppuku, Paris, la séparation, les années de galère, Mirwais l'Afghan underground devenu producteur de Madonna, le retour miraculeux de Daniel Darc. Trente ans plus tard, donc, le concert de l'Olympia, où Christophe avait joué une chanson sur scène, avait été impressionnant de maîtrise et de présence scénique.


Les mains tremblent mais le regard reste attentif, chaleureux, intense. Un peu comme sa voix, faible en apparence, mais prenante. Courbé devant la pile des disques qu'il a choisis, Daniel rigole en parlant de country - pas n'importe laquelle : Johnny Cash bien sûr, Kris Kristofferson, Merle Haggard - car je lui parle de Mental Revenge de Waylon Jennings, la version de 1966, qu'il ne connaît pas. On sort pour regarder sur son iPhone complètement déglingué un Jennings tiré à quatre épingles énoncer ces paroles de haine et de désespoir avec un sourire enjôleur. Marrade. « Tu crois que je peux la reprendre ? » Ben tiens.

On en revient à notre vie, à nos parcours respectifs. Pour ma part, j'ai toujours travaillé en dehors de la musique, d'abord parce que je me suis débrouillé pour bosser dans des domaines intéressants, ensuite aussi pour ne jouer que ce qui me plait, sans contrainte extérieure. Lui s'est lancé à fond et a réussi. Entre galères et succès, il a sorti des disques, tourné et imposé sa musique, sans concession. Je lui donne ma vision de son parcours. Il répond « Tu sais, on me voit comme une star, on se dit que je suis plein aux as, alors qu'il y a eu des jours où je ne bouffais pas. Mais j'ai toujours fait ce que je voulais et rien d'autre. »

Chapeau l'artiste.